jeudi 28 mai 2009

Lorsque l'Amérique défendait Cuba

Difficile d'imaginer les Américains portant secours aux Cubains oppressés alors que depuis 1959 leur plus fidèle ennemi, Fidel Castro, dirige d'une main de fer (à la santé déclinante aujourd'hui) cette grande île située non loin de la Floride dans le golfe du Mexique.

Pourtant, à la fin du dix-neuvième siècle, Cuba était sous domination espagnole. À la suite de diverses tentatives infructueuses de révolution, les Espagnols mènent une répression qui devient de plus en plus rigoureuse. Des exilés cubains en territoire américains alertent l'opinion publique et les Américains manifestent de plus en plus d'intérêt pour leur voisin. En 1898, une révolte éclate à La Havane et les Américains envoient une frégate sur place, histoire de bien faire sentir leur présence aux dirigeants Espagnols. Trois semaines plus tard, cette frégate explose dans le port, faisant plus de 250 victimes.

La tension monte entre les Espagnols et les Américains et ces derniers votent une résolution soutenant l'indépendance de Cuba et demandant aux Espagnols de se retirer. L'Espagne déclare la guerre le 25 avril 1898. Mal lui en prendra car la guerre hispano-américaine comme on la nomme aujourd'hui en français restera pour les Espagnols « el desastre del 98 ». Ils y perdront plusieurs de leurs colonies, ce qui sonne le glas des restes de l'impérialisme espagnol. À l'opposé, les États-Unis font une entrée fracassante sur la scène internationale.

Cuba deviendra indépendant  en 1902.

La philatélie nous rappelle ces événements et nous illustre une autre conséquence de la guerre :

 
Mis en vente par Heritage Auction Galleries, vente aux enchères du 03.06.2009, lot n° 37067.

Valeur estimée : 600 à 800$

ex Bosley, Dattolico 

Postée de Washington D.C. pour La Havane, cette lettre arrive à New York le 23 avril 1898, juste avant la déclaration de guerre. Elle n'accomplira jamais la deuxième moitié du parcours puisque comme l'indique l'étiquette « les envois vers l'Espagne ou ses colonies sont interdits pour cause de guerre ». La lettre finira tristement au rebut, l'expéditeur n'ayant semble-t-il pas laissé d'adresse...

Tout n'est pas perdu pour autant puisqu'elle s'affiche aujourd'hui sur ce blog !

vendredi 15 mai 2009

Une vente aux enchères dans le style hexagonal

Lorsqu'on compare les catalogues de vente des maisons françaises avec à ceux des vendeurs anglo-saxons, des vendeurs des pays nordiques ou de la Suisse, on remarque immédiatement une différence de style. Là où les Américains aiment bien décrire et vanter (parfois outrageusement) les objets mis en vente, le Français se contente d'être le plus bref possible.

Dans l'esprit de chacun, peut-être la langue française doit-elle être réservée aux mots doux murmurés entre amants....

Voici un exemple de l'absence de prolixité qui me laisse perplexe :

Mis en vente par Numphil, vente aux enchères du 23.05.2009, lot n° 107.

Valeur estimée : 15 000 et 20 000€

On lit « 1853-1860, 20c bleu oblitéré étoile rouge, C. PLOMBIERES en rouge sur enveloppe pour Paris. 14 juillet 1859. Grande rareté de qualité exceptionnelle, la plus belle lettre connue, signé et certificat Calves, signé Scheller. Yvert 14A, Cérès 14 I ».

Cette description donne quelques informations importantes : le timbre utilisé, la description du cachet, la présence d'un certificat d'authenticité. Cependant, absolument rien n'indique au collectionneur peu érudit qu'est-ce qui est d'une grande rareté. Le timbre est tout ce qu'il y a de plus commun, l'étoile rouge n'est pas une grande rareté, le pli ne semble pas présenter de caractéristiques exceptionnelles (comme un texte historique). Reste le cachet à date, Plombières, 14 juillet 1859. Peut-être un lecteur plus versé que moi pourra-t-il m'éclairer ?

Il s'agirait de la plus belle lettre connue mais j'ai quand même l'impression qu'elle a été pliée. Peut-être est-ce une caractéristique que le vendeur considère qu'il n'a pas à mentionner.

Il y a d'autres différences qui distinguent les vendeurs Français. Déjà, une vente aux enchères en France ne semble pouvoir être organisée que par un commissaire-priseur, un titulaire d'une charge qui, comme la charge d'un notaire, doit être achetée. Le métier de commissaire-priseur est très encadré et les intéressés se plaignent justement de ce cadre légal qui entrave leur compétitivité internationale. Cependant, et je cite wikipédia, « dans la plupart des autres pays, ce cadre est en effet beaucoup moins contraignant voire inexistant, réduisant d'autant les garanties dont bénéficient tant les acheteurs que les vendeurs ». Est-ce vraiment le cas ?

Examinons un point des conditions de vente qui m'a étonné :

Tous les biens sont vendus tels quels dans l’état où ils se trouvent au moment de la vente avec leurs imperfections ou défauts. Aucune réclamation ne sera possible relativement aux restaurations d’usage et petits accidents. Il est de la responsabilité des futurs enchérisseurs d’examiner chaque bien avant la vente et de compter sur leur propre jugement aux fins de vérifier si chaque bien correspond à la description.

Les indications données par Numphil sur l’existence d’une restauration, d’un accident ou d’un incident affectant le lot, sont exprimées pour faciliter son inspection par l’acquéreur potentiel et restent soumises à son appréciation personnelle ou à celle de son expert. L’absence d’indication d’une restauration d’un accident ou d’un incident dans le catalogue, les rapports, les étiquettes ou verbalement, n’implique nullement qu’un bien soit exempt de tout défaut présent, passé ou réparé. Inversement la mention de quelque défaut n’implique pas l’absence de tous autres défauts.


Incroyable ! On ne garantit même pas à l'acheteur que les lots sont décrits de façon exacte; c'est à lui de vérifier que la description du vendeur est précise en examinant les lots à l'avance. Ce n'est pas ce qu'on peut appeler des conditions de vente qui augmentent la garantie dont bénéficie les acheteurs !

Dans les ventes nord-américaines, les conditions ressemblent le plus souvent à celles-ci :

In our opinion, all lots are as described. If a prospective purchaser wishes to obtain another expert opinion - acceptable to us - on a lot (not including mixed lots or collections containing undescribed stamps), he must request an extension in writing before the time of the auction (on the bid sheet is acceptable). Lots sold under this condition shall be held open for up to 120 days, after which the lot will not be returnable for any reason. Items that already have such certificates are sold on the basis of those certificates (unless otherwise stated in the description). Expenses for certificates shall be borne by the purchaser. If a negative opinion is received within the 120 days, the purchase price will be refunded in full, and the expertising fee (to a maximum of $40) will be paid by us. All lots sent on extension must be paid for under our normal terms. The inability of an expert committee to render an opinion on a lot is insufficient grounds for its return.

Claims for errors in description, including condition, must be made within 7 days after receipt, but no later than 45 days after the auction. Stamps returned must be in the state received and must be sent by registered mail or bonded courier. Lots back stamped, marked or encapsulated by experts or expert committees are not returnable. It is the purchaser's responsibility not to let this happen. Stamps described as having defects are not returnable on account of their condition. No lots may be returned by bidders who have had an opportunity to examine, or an agent, view them on their behalf before the sale, nor any stamps which have been photographed for perforations, centering, margins or cancellations. All stamps photographed in colour are reproduced with extreme care as to accuracy of colour and shade, however stamps photographed in colour may not be returned because of shade differences between the lot and photograph.


Les droits et devoirs semblent partagés de façon relativement équitable entre l'acheteur et la maison de vente. Entre parenthèse, on voit quel crédit est accordé aux signatures et marques d'expert de l'autre côté de l'Atlantique : une dégradation du timbre suffisante pour refuser tout remboursement...

Revenons à Numphil et continuons de lire ses conditions de vente :

Le mode normal pour enchérir consiste à être présent dans la salle de vente. Toutefois Numphil pourra accepter gracieusement de recevoir des enchères par téléphone d’un acquéreur potentiel qui se sera manifesté avant la vente.

Numphil pourra accepter gracieusement d’exécuter des ordres d’enchérir qui lui auront été transmis avant la vente et que Numphil aura accepté.

Voilà ce qui s'appelle ne pas vouloir vendre ! Comme si tout les collectionneurs de France et du monde pouvaient sauter dans un avion pour Paris le samedi matin pour assister à la vente le soir... Celui qui misera sur le timbre le plus rare du Canada en aura certainement les moyens. En aura-t-il le temps ou le goût, c'est moins certain.

Je suis un peu méchant car nonobstant le « mode normal d'enchérir » qui consiste à être présent, il est indiqué plus loin dans le catalogue de vente qu'il est possible de miser en direct par internet. Un bon point pour le vendeur !

Ayant l'avantage d'habiter en région parisienne, je pourrai assister à la vente en personne, il me suffira de prendre le RER A jusqu'au Champs-Élysée mais s'il me prenait l'envie de vouloir miser sur un lot, je devrai aller l'examiner attentivement auparavant, ce que je pourrai faire à Paris IXème du lundi au vendredi de 10h à midi et de 14h à 18h. Bravo, encore plus fort que les horaires des banques !

D'ailleurs la mienne, « afin de mieux me servir », ferme désormais à 13h le samedi plutôt qu'à 15h.

Allez, bonne nuit et rendez-vous samedi dans une semaine sur les Champs !


Mises à jour : Le timbre le plus rare du Canada est en couverture de catalogue mais on trouve également un timbre de Naples sur journal et j'ai noté un double de Genève utilisé localement.

vendredi 8 mai 2009

Les distributeurs Schermack

Au début du vingtième siècle, différents bricoleurs tentaient de concevoir une machine distributrice de timbres-poste qui aurait comme fonction supplémentaire d'humecter le dos du timbre et éventuellement de le coller directement sur une enveloppe, ce que nos aïeuls appréciait particulièrement pour le côté hygiénique de la chose. En effet, lécher le dos des timbres manipulés par les doigts du commis, n'était-ce pas laisser la place à la prolifération des bactéries découvertes par Pasteur, Koch et les autres ?

Aux divers vendeurs de ces machines, les autorités postales ont fourni des timbres non dentelés, afin qu'il puissent être adaptés par les fabricants des distributeurs. Les collectionneurs ayant eu vent de ces timbres non dentelés, ils demandèrent à ce que la vente de ses timbres soit publique, ce qui leur fut accordé. On trouve donc les timbres de 1¢, 2¢ et 5¢ de la série de 1902 sous cette forme.

Cependant, une commande spéciale de timbres de 10 000 timbres de 4¢ était également livrée à la Detroit Mailing Machine Company, qui devint la Schermack Company, du nom de l'inventeur d'une machine à affranchir, Joseph Schermack. Ces timbres de 4¢ étaient destinés à deux clients des machines de la Schermack Company, qui créaient des dentelures très particulières :

Mis en vente par Spink Shreves Galleries, vente aux enchères n° 113 du 08.05.2009, lot n° 124.

Cote : 50 000$
Prix de vente : 62 500$

collection Richard Collier

Il semble qu'à l'époque cette « variété » soit passée complètement inaperçue et que sur les 10 000 exemplaires livrés, un collectionneur nommé Karl Koslowski put s'en procurer une cinquantaine, dont il en aurait conservé une vingtaine et qu'ici et là une trentaine de copies oblitérées furent récupérées des envois fait par les deux utilisateurs des machines à affranchir.

Rebelote en 1916 avec un autre timbre :


Mis en vente par Spink Shreves Galleries, vente aux enchères n° 113 du 08.05.2009, lot n° 180.

Cote : 65 000$
Prix de vente : 35 000$

ex Ballman, Scott, collection Richard Collier

Ces dentelures, baptisée Schermack type III, se retrouvent sur à peu près tous les timbres non-dentelés émis par les autorités américaines dans le premier quart du vingtième siècle. Cependant, seules les deux timbres ci-haut n'ont pas été émis non dentelés au public, d'où leur grande rareté aujourd'hui.


Mises à jour : De très nombreux timbres exceptionnels du monde entier sont offerts dans cette même vente, comme les premiers timbres d'Hawaï, un 12d noir du Canada et même des timbres à 1$...

vendredi 1 mai 2009

Une réimpression qui vaut une petite fortune

Au dix-neuvièle siècle, il n'était pas rare que des administrations postales réimpriment des timbres afin de satisfaire le marché des collectionneurs. Ces réimpressions étaient parfois réalisées à l'aide des matrices originales mais souvent sur un papier suffisamment différent pour qu'on puisse les distinguer de l'original.

Par exemple, la première série de Suède (1855) a été réimprimée en 1868 à 2000 exemplaires et en 1885 à 1620 exemplaires. Cette dernière réimpression est aisément distinguée des originaux par la dentelure, dont la taille est différente.

Ces réimpressions sont aujourd'hui des curiosités et leur valeur marchande est souvent inférieure à celle des timbres originaux.

Les Américains ont fait de même avec leur série de 1870 à la seule différence qu'ils ont donné à ces réimpression un numéro de catalogue distinct. Le n° 204 est la réimpression du n° 185, qui est le même timbre que le n° 179, lui réimprimé en tant que n° 181. Bref, les collectionneurs désirant avoir une collection « complète » des États-Unis chercheront donc à obtenir cette réimpression :

Mis en vente par Spink Shreves Galleries, vente aux enchères n° 112 du 29.04.2009, lot n° 1113.

Cote : 350 000$
Prix de vente : 500 000$

ex Hetherington, Anderson, Floyd
collection James M. Minervo

L'exemplaire offert ici tout simplement superbe et, comme il y a aujourd'hui dix-huit exemplaires connus de ce timbre cette réimpression, on imagine mal qu'il soit surpassé.

Il y a cependant moins d'un an qu'était vendu un autre très bel exemplaire (décrit en 1991 comme le plus bel exemplaire connu) :

Mis en vente par Robert A. Siegel Auction Galleries, vente aux enchères n° 963 du 28.10.2008, lot n° 828.

Cote : 350 000$
Prix de vente : 375 000$

Mis en vente par Robert A. Siegel Auction Galleries, vente aux enchères n° 737 du 20.04.1991, lot n° 555.

Cote : 30 000$
Prix de vente : 37 500$

ex Caspary, collection Ambassador, Cole, Greenblatt, Weisman, Ballman, Hansen

Ce timbre est accompagné de pas mois de cinq certificats d'authenticité !

La maison Siegel n'étant jamais à court de raretés, elle vendait il y a deux ans « one of the finest of the 18 recorded copies » :

Mis en vente par Robert A. Siegel Auction Galleries, vente aux enchères n° 937 du 16.06.2007, lot n° 177.

Cote : 100 000$
Prix de vente : 300 000$

ex Lyons

Il faut cependant remonter dix ans pour trouver un autre exemplaire, lui aussi « one of the finest of the 18 recorded copies » (à se demander s'il sont toutes parmi les plus belles...) :

Mis en vente par Robert A. Siegel Auction Galleries, vente aux enchères n° 804 du 08.10.1998, lot n° 401.

Cote : 35 000$
Prix de vente : 45 000$

ex Green, Engel, Klein, Zoellner

Allez, un petit dernier pour finir ! Celui-ci est « magnificent » :

Mis en vente par Robert A. Siegel Auction Galleries, vente aux enchères n° 759 du 19.05.1994, lot n° 205.

Cote : 30 000$
Prix de vente : 32 000$

ex West, collection Concord

La maison Siegel a réalisé un inventaire des dix-huit exemplaires connus, ce qui permet de comparer et de se faire une idée des « plus beaux exemplaires » et je dois avouer, malgré la petite pointe d'ironie que j'ai laissé transparaître, que les exemplaires présentés ici sont effectivement plutôt bien.

Malgré tout, je n'en pense pas moins qu'il s'agit d'une simple réimpression, une variété anecdotique, qui aurait pu porter le n° 155r par exemple. Et là la cote aurait peut-être été de 3500$ plutôt que 350 000$...