dimanche 24 octobre 2010

La Gaspésie à l'honneur : un timbre provisoire unique et controversé

Certains de mes lecteurs connaissent peut-être les « postmaster's provisionals » des États-Unis. Il s'agit de timbres non officiels émis par les responsables de certains bureaux de poste pour pallier à une bizarrerie administrative. En effet, l'administration postale met en place le principe du timbre-poste... sans fournir de timbres-poste aux bureaux de postes. Ces derniers se débrouillent comme ils peuvent et créent ce qui ressemble fort à des timbres.

Ce que je viens de découvrir en feuilletant le catalogue de la vente de novembre de David Feldman, c'est qu'il existe un tel « timbre » au Canada :

https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgudmmmMJ7lv7v7Gf3rYMDAS62cwPw8zpBN2w2g-0m4Srr-gX0vPjUONIpnMldpvO3GKQyn-zknJkDR6YnNE84Za0-oIXdyfKpdVtwIjO1vpvjiEYCYEbx6vNefgddeGvdPgqG-g3SgFsYa/s800/24-10-2010-1.jpg

Mis en vente par David Feldman SA, vente aux enchères publique du 17.10.2010, lot n° 60018.

 

Valeur estimée : 250 000 à 350 000€
Prix de vente : 280 000€

 

ex Ferrary, Burrus, collection « Consort »

Il s'agit d'une enveloppe datée du 7 avril 1851, postée de New Carlisle, une ville de Gaspésie au Québec, adressée à un certain Hugh Miller à Toronto. En haut à droite, le « timbre » de trois pence, le tarif simple en vigueur depuis le 6 avril 1851. Au dos un cachet d'arrivée daté du 16 avril. Sur le côté, en surimpression, la mention manuscrite Letter, R. W. Kelly, April 1851, vraisemblablement apposée par le destinataire, peut-être à des fins de classement.

Le 6 avril 1851, l'administration postale est transférée à l'administration britannique (rappelons que le Canada était une colonie...), un tarif unique de 3 pence payé par l'expéditeur entre en vigueur mais les premiers timbres ne seront disponibles qu'à la fin du mois. On suppose donc que le responsable de la poste de la petite ville de New Carlisle a créé ce timbre provisoire destiné à être utilisé durant le mois d'avril 1851.

En 1904, cette lettre est découverte par la communauté philatélique, par un certain E. B. Greenshields de Montréal, qui sollicite divers avis, dont celui de Donald King, postier et marchand de timbres à Halifax. C'est en contactant les autorités postales qu'il apprend que R. W. Kelly était le postier-maître à New Carlisle, au moins de 1851 (début des registres) à 1855. Il est donc vraisemblable qu'il ait été l'expéditeur de cette lettre. De plus, le village de New Carlisle a été fondé par des loyalistes, ces sujets britanniques qui ont fui les États-Unis à la suite de la guerre d'indépendance. Notre postier avait donc peut-être vu des correspondances ornées des timbres provisoires américains. Jusque là tout se tient.

Notre lettre unique rejoint la célèbre collection du comte de Ferrary puis celle de Maurice Burrus, qui la conservera pendant quatre décennies. En 1985 et 1986, la lettre est soumise à expertise et les deux certificats obtenus mentionnent que « la lettre semble authentique mais que son émission n'a pas été autorisée par l'administration postale » et que la lettre « est authentique, autant qu'on puisse en juger vu son unicité ». Ces informations sont tirées du catalogue du vendeur qui souligne les mots « authentique » et « unicité ». Le vendeur poursuit en précisant que récemment Sergio Sismondo a émis un autre certificat beaucoup plus détaillé et qui précise entre autre que l'écriture manuscrite a bien été apposée après le timbre et qu'il n'y a eu sur cette lettre aucune autre marque postale qui aurait été effacée. Le vendeur conclut donc qu'il s'agit d'une authentique émission provisoire, que l'exemplaire offert à la vente est unique et que bien sûr il est indispensable pour tout collectionneur qui voudrait avoir la meilleure collection consacrée au Canada...

Cependant, s'en suit un autre paragraphe dans le catalogue de vente qui justifie qu'il s'agit vraiment d'une émission provisoire. Pourquoi tant d'insistance ? Une petite recherche s'impose...

Finalement, la vérité est un peu plus nuancée. Les spécialistes ne semblent pas tous d'accord sur la question. En 2003, alors que le catalogue Scott pense ajouter cet item à ses cotes, des voix discordantes s'élèvent, il ne s'agirait peut-être que d'une inscription personnalisée et non d'une véritable émission provisoire. Quelle différence ? Je dirais aucune mais dans un cas, la valorisation est cent fois inférieure ! D'ailleurs, je n'ai pas trouvé trace de cote dans le catalogue Scott 2009, même si le vendeur affirme que c'est la première entrée de la section Canada. Là où ça fait mal, c'est que le très sérieux Fake, Forgeries & Experts a publié le résultat de la recherche effectuée par la non moins sérieuse Vincent Graves Greene Philatelic Research Foundation et que leur conclusion est qu'il ne s'agit pas d'une émission provisoire... C'est bizarre, le vendeur ne mentionne pas cette étude !

Au détour d'une page web, on apprend également que Sergio Sismondo aurait affirmé qu'il était « curateur » de cette pièce philatélique et qu'il avait pour objectif de l'exposer le plus possible pour la faire connaître. Rien à dire sur cette technique marketing de bonne guerre, cependant Sergio Sismondo est également l'émetteur du certificat sur lequel le vendeur base son argumentation.

Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une pièce particulièrement intéressante de la philatélie canadienne mais à mon humble avis, des hommes d'affaires avisés tente de la commercialiser pour en obtenir un prix qu'il est difficile de justifier.

1 commentaire:

  1. Les timbres de 1849, 1850, 1851, 1852 (et années suivantes) sont à des tarifs exorbitants. C'est la folie. C'est la stupéfaction. Le prix du gramme de papier est astronomique.

    Ces timbres valent un euro maximum.

    RépondreSupprimer